Les villes plongées dans le noir pour réaliser des économies d’énergie. Le retour de l’alternance entre le jour et la nuit dans les grandes agglomérations aux ciels nocturnes orangés. Symbole d’un sage renoncement au prométhéisme des Lumières ?
Si les fous sont ceux qui assurent qu’il fait jour au milieu de la nuit, les citadins ont toute raison de l’être. Heureusement, Batho est arrivée. La ministre de l’Ecologie concocte
un décret visant à interdire l’éclairage nocturne des boutiques et vitrines.
La mesure sera-t-elle étendue aux administrations ? Si claire que soit la volonté de Delphine Batho de faire des économies d’énergie, ce point reste obscur.
Les ronchons protesteront : « est-il possible qu’un gouvernement, qui se dit soucieux de la croissance, interdisent aux commerçants de faire grimper leur facture énergétique aussi haut qu’ils le souhaitent. Halte à cette scandaleuse atteinte à la liberté d’entreprise ? »
A quoi, -contrepoint prévisible comme l’alternance du jour et de la nuit,- les écolos répondront que la croissance est une vieille lune et que c’est, comme autour du soleil, autour du « développement durable » que doit désormais graviter l’activité humaine.
Au-delà de l’inévitable polémique, l’interdiction, pour anecdotique qu’elle semble, n’est pas dépourvue d’une forte charge symbolique : l’essentiel, c’est qu’on renonce aux lumières et que la nuit reprenne ses droits.
La France tournerait-elle discrètement le dos aux fantasmes hérités du siècle des Lumières ? Aurait-elle fini par comprendre que, si puissant qu’il soit, l’éclairage ne vaincra jamais la nuit et qu’il est donc préférable de faire cesser le combat ?
Et si, après avoir cru que les lumières de la raison permettraient d’affranchir l’Homme de ses zones d’ombre, de ses passions de ses folies, on comprenait enfin qu’en nous, quelle que soit la volonté de les combattre, s’expriment des forces nocturnes, ténébreuses, inquiétantes. Et si on prenait au sérieux cette proposition des plus gênantes: si l’homme est mauvais, ce n’est pas nécessairement qu’il n’a pas été éclairé.
Avec des romans comme Les fainéants dans la vallée fertile ou le superbe Mendiants et orgueilleux, le regretté Albert Cossery n’a cessé de le répéter : ce qu’on a la bêtise d’appeler « la civilisation » commence quand, contrariant la structurante alternance de jour et de nuit, on hérisse les villes de réverbères.
C’est une première étape qui annonce le facteur, le percepteur et bientôt les centres commerciaux Les héliotropes applaudissent, prompts qu’ils sont à oublier que, derrière les réverbères sont tapis ceux qui les fabriquent et ceux qui ont le pouvoir de les allumer.
Notre société est droguée des lumières qu’elle tient pour le progrès. Il était temps de la désintoxiquer. Les couloirs du métro parisien sont aujourd’hui 400 fois plus éclairés qu’ils ne l’étaient il y a un siècle où pourtant, les premiers voyageurs étaient émerveillés par la clarté du boyau.
Qu’il en aura fallu tout de même du temps pour que les héritiers du siècle des Lumières comprennent qu’une lampe ne fait pas le bonheur !